Il se faisait déjà tard. Trop tard. Les lasagnes que Clea avaient préparées commençaient même à refroidir dans le four. De toute façon, elle n’avait pas faim. Du moins, elle n’avait plus faim. Tobias aurait du rentrer il y a déjà deux heures, mais il n’était toujours pas là. Elle aussi pourtant, était rentré tard du travail, sachant pertinemment que règnerait un silence presque morbide. Oui, c’était comme presque à chaque repas. Des claquements de fourchettes, les miaulements de Moon. C’était tout. Habituellement, Clea ne disait rien, elle se taisait pendant le repas, au risque de s’énerver par l’entrée trop tardive de son compagnon. Dans le meilleure des cas, ils avaient une discutions qui sentait la banalité à plein nez, ils se racontaient leur journée. Assise à la table, Clea regardait les minutes défiler. Il était devenu rare qu’elle l’attende pour diner, elle avait appris à trouver des occupations pour tuer le temps. Elle avait appris à diner avec Moon pour seule compagnie lorsqu’elle ne sortait pas entre amies. Mais là, c’était différent. Ce soir-là, elle tenait à l’attendre. Et ce soir-là, elle savait qu’ils échangeraient bien plus que quatre mots, jetés, comme ça, juste par simple politesse. L’impatience la gagnait, elle frappait ses ongles sur la tables, faisant trembler le verre de vin rouge devant elle. Oui, le verre de vin. Elle avait voulu s’en servir un. De toutes façons, à quoi bon. À quoi bon faire naître un enfant que Tobias ne voudrait peut-être pas, à quoi bon le faire naître dans un foyer aussi froid que la glace. Mais il n’y avait tout de même pas touché, à ce verre. Prise entre deux feux. Les larmes coulaient presque sur ses joues, comme souvent en ce moment d’ailleurs. Mais non, il fallait qu’elle reste forte. Elle devait rester forte. Elle entendit enfin le bruit des clés grattant la porte. Il arrivait, enfin. En poussant la porte, il réveilla Moon, qui s’était endormie au pied du canapé. Elle aussi l’avait attendu une bonne partie de la soirée, sans doute. Et triste histoire, Clea était persuadée que son compagnon que celui ou celle qu’il serait le plus heureux de retrouver, c’était le chat. Sans dire un mot, elle se leva de sa chaise. Le stress aidant, elle fit trembler la table, manquant de renverser le verre auquel elle n’avait pas touché. Les jambes tremblotantes, elle se dirigea vers la porte de d’entrée. Lorsqu’elle vit Tobias, un joli sourire se dessina sur ces lèvres. Bon sang, elle l’aimait encore si fort. Ce sourire fut vite effacé à la simple pensée de ce qu’elle devait lui annoncer , mais surtout, à cause des millions de questions qui lui heurtèrent le crâne. Où était-il. Avec qui était-il. Etait-il avec une femme. Toutes ces choses auxquelles elle songeait lorsqu’il n’était pas là, et ce depuis un an. Elle trouva la force de dessiner un sourire forcé sur ces lèvres rouges. « Ah, tu es là ! Je dois juste réchauffer le plat, je ne savais pas quand tu allais rentrer. » Elle déposa un baiser sur la joue de Tobias. Son coeur battu plus fort encore. Puis, elle s’éclipsa à la cuisine. « Tu veux boire quelque chose ? J’ai ouvert une bouteille de vin. » Elle était bavarde dès son arrivée ce soir, nul doute que Tobias se doutait que quelque chose était différent.
les journées à l'hôpital sont loin d'être calmes et paisibles. enfin. ça dépend. aujourd'hui était tout, sauf calme et paisible. entre les différents suivis de patients et les urgences, tu n'a pas su ou donner de la tête. de plus, ton internat se terminant bientôt, on te donne de plus en plus de responsabilités et, même si ce n'est pas pour te déplaire, il y a des moments ou t'as du mal à gérer. tu t'es un peu emmêlé dans ton propre planning, mais tu as réussi à t'en sortir. cette journée bien trop remplie t'empêches de penser à ta vie, à ce qu'elle est devenue ces derniers temps. tu retiens un soupir, savourant ces quelques minutes de pause avant que l'on ne vienne t'annoncer une nouvelle urgence. tu ne retiens que les faits les plus importants, pas les causes de l'accident en lui-même. tout ça t'empêches de penser à clea. à ellie. à avalyn. ça t'empêche de penser à toutes les conneries que t'as pu faire, à toutes les excuses que t'as pu trouver quand tu rentrais plus tard et qu'en réalité, tu étais avec la jeune femme. tu retiens un soupir. tu ne sais pas comment te sortir de tout ça. de cette merde dans laquelle tu t'enfonces de jour en jour.
tu es fatigué. fatigué de ta journée, fatigué de la vie, fatigué de tout. tu termines de te laver les mains, jetant un regard à l'heure. il est tard. vraiment. tu te sèches les mains et salues rapidement tes collègues. t'es déjà censé être rentré depuis plusieurs heures. tu récupères tes affaires, las, avant de faire la route jusqu'à votre appartement. celui que tu partages avec clea. et avec le chat aussi. tu te mords la lèvre, passant une main sur ton visage. et tu termines par sortir de la voiture, te dirigeant d'une démarche presque tremblante vers l'entrée. tu soupires, te préparant à affronter le silence glacial. tu entends de suite du bruit quand tu rentres et clea ne tarde pas à apparaître prêt de toi. ah, tu es là ! je dois juste réchauffer le plat, je ne savais pas quand tu allais rentrer. tu la laisses embrasser ta joue et tu te sens bien. tu lui offres un sourire désolé avant de la laisser retourner vers la cuisine. tu retires ta veste et tes chaussures, préférant trainer en chaussettes. tu gratifies moon, votre chaton, de quelques caresses avant de te redresser. désolé. on a eu une opération en urgence et ça a été plus compliqué que prévu. j'ai laissé le suivit à un collègue. tu expliques calmement. et pour une fois, c'est la vérité. pas juste une excuse que t'as inventé pour justifier l'heure tardive. tu te diriges doucement vers la cuisine. tu veux boire quelque chose ? j’ai ouvert une bouteille de vin. tu fronces un peu les sourcils. ça fait longtemps que vous n'avez pas entretenus autant de conversation sans qu'un silence ne retombe. ça sent bon. et je vais prendre une verre. tu souffles en récupérant un verre à pied dans le placard. tu n'attends pas pour le remplir de vin, avant de venir t'accouder contre le bar, observant clea mettre le plat à réchauffer. ta journée s'est bien passée ? y'a eu des bonnes nouvelles ? parce qu'il ne peut qu'y avoir eu des bonnes nouvelles, pour qu'elle soit de si bonne humeur. tu te mords l'intérieur de la joue. t'as pas envie de retomber dans vos discussions dénudées d'intérêt et de sens. tu bois une gorgée de vin, reposant le verre.
Elle trépignait. D’impatience, mais aussi de peur. Dure nouvelle à annoncer, et pourtant. Pourtant, cela devrait être une nouvelle à lui en faire pleurer de choix, une nouvelle merveilleuse. Un magnifique tournant dans la vie d’un couple. « désolé. on a eu une opération en urgence et ça a été plus compliqué que prévu. j'ai laissé le suivit à un collègue. » Tobias la fit sortir de ses pensées. Elle préféra ne pas répondre. Quand il entra dans la cuisine, elle se contenta de lui sourire. Un sourire qui n’était pas forcé. Elle avait envie de le croire. Cela sonnait tellement vrai. Oui, elle avait envie de croire qu’il était rentré tard pour sauver une vie, et non parce qu’il n’avait pas envie de la voir. Elle était fatiguée de cette situation, alors elle avait décidé de ne plus prêter attention aux tendances fuyantes de Tobias. Peut-être avait-il juste besoin d’espace. Peut-être. « ça sent bon. et je vais prendre une verre. » Une atmosphère si saine, si normale s’installait ce soir-là. Clea en rougissait presque de bonheur à vrai dire. Au départ, elle voulait simplement se forcer à être agréable, avenante, histoire que la pilule passe mieux, qu’elle arrive à se défaire de cette nouvelle qu’elle devait lui annoncer. Et au final, elle n’avait pas besoin d’en faire des tonnes, ni besoin de se forcer. Cela venait, tout naturellement, pour la première fois depuis un moment. Et si c’était ça, la clé. Et s’il fallait juste qu’elle se batte de nouveau pour lui montrer à quel point elle tenait à lui. Naïveté absolue, peut-être. Mais ce soir, elle avait envie de croire à tout. « Merci, j’espère simplement que c’est aussi bon que ça sent. J’ai voulu faire un peu de fantaisies, alors désolée d’avance si je dois convaincre le chinois d’en face d’ouvrir en urgence pour nous » Elle lui sourit à nouveau, avant d’allumer le four. Pour une fois, elle avait écouté sa soeur en matière de cuisine. C’était rare qu’elle lui fasse confiance à ce sujet, mais elle était venue la voir alors que Clea préparait ses lasagnes. Elle lui avait reproché son classicisme ennuyant, et tenté de lui faire mettre un grain de folie dans son plat. Peu sûre d’elle, elle avait essayer. Elle verrait bien.
Clea se dirigea doucement vers Tobias, saisissant son verre au passage. « ta journée s'est bien passée ? y'a eu des bonnes nouvelles ? » Des bonnes nouvelles. Quelle ironie. L’ennui, c’était qu’elle ne savait pas vraiment s’il s’agissait d’une bonne nouvelle, justement. « Oui, plutôt bien, on a décroché un gros contrat avec une boutique canadienne, y’avait un esprit plutôt festif dans l’entreprise aujourd’hui » Elle baissa les yeux sur son verre de vin. Non Clea, ne boit pas ce verre, se murmurait-elle. Une femme enceinte de doit pas boire de vin, c’est très mauvais pour le bébé. Tobias était très bien placé pour le savoir, avec ses études de médecine, Clea était persuadée qu’il pourrait lui expliquer le moindre effet qu’un verre de vin pouvait avoir sur leur bébé. Leur bébé, c’était même étrange de penser ça. Mais à y réfléchir, peut-être était-ce ce dont ils avaient besoin, un bébé pour les rapprocher, fonder une famille pour mieux tout reconstruire. Le train-train quotidien avait eu raison d’eux, alors casser les codes de leur vie monotone pourrait peut-être arranger les choses, après tout. Ou bien Clea se faisait des idées. Entre, tout était mort, d’une tristesse morose. Et un bébé ne serait pas le bienvenue. Tobias n’en voudrait certainement pas. C’était pas le bon moment. Et là, à les voir se parler de nouveau, elle était prise d’un veni de mélancolie. Lui annoncer cette nouvelle pourrait tout gâcher. Elle n’avait qu’à rien dire, se faire avorter. Indécise, trop d’idées se bousculaient dans la tête de Clea. Tu bois une gorgée, tu avortes. Tu poses ton verres, tu lui dit. « Mais ce n’est pas la seule bonne nouvelle à vrai dire… Du moins, je ne sais pas même s’il s’agit vraiment d’une bonne nouvelle. » Et Clea posa son verre, manquant de le renverser.
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